L’IMPORTANT ET L’ANODIN EN ENTRETIEN : UNE CLINIQUE MOEBIALE

Samedi 14 Octobre 2023

Quelle attitude doit avoir celui qui écoute ? Trouver la solution au problème posé ? Amener le malheureux vers la voie de la guérison ?

Le patient, l’analysant vient livrer son problème, essaie de l’énoncer le plus clairement possible, et puis bafouille, se demande si l’autre le comprend. Le doute se loge dans la relation même ! Les banalités, les répétitions viennent colorer une toile composée à partir des récits.

« L’homme d’entretien » se demande alors si les évaluations de toutes sortes peuvent rendre compte des infimes et imperceptibles modifications qui s’opèrent au cours de cette longue et parfois pénible mutation que permet les séances ? Y a-t-il une méthode, une technique labellisée, authentifiée, adoubée scientifique, qui puisse faciliter, voire garantir, la résolution des symptômes dont se plaignent les consultants ? Ne s’agit-il, dans les troubles mentaux, que de reconnexions neuronales défectueuses et de biotopes perturbés. La dépression se soignerait-elle grâce à l’apport ou le réglage de la sérotonine, de la dopamine, la noradrénaline, l’endorphine ou du cortisol ? Pourrait-on ainsi répondre aux questions existentielles qui surgissent assez rapidement dans un entretien, au sens de la vie qui échappe ? Le délire chez le psychotique n’est-il que cela : un dérèglement biochimique ? Ou bien est-il aussi une tentative de construction de la position symbolique et imaginaire du sujet dans le discours ?

Ne vaut-il pas la peine, à « l’homme d’entretien », de se poser ces questions avant de condamner telle ou telle pratique ou d’y adhérer sans discernement ? Comment, hors des méthodes, théories ou techniques, l’homme d’entretien sera sensible à la pépite qui se dissimule dans l’anodin du récit.

Voilà ce que nous essaierons d’aborder dans la première séance de notre séminaire en convoquant aussi bien le texte Freudien de la psychopathologie de la vie quotidienne que les textes des auteurs du nouveau roman et d’autres encore.

T. Nussberger – responsable d’enseignement du séminaire

Samedi 16 novembre 2023

1ère partie théorico-clinique : « J’hallucine ! Vécus ordinaires et extraordinaires. »
 Intervenant : Renaud Evrard, psychologue, maître de conférences HDR en psychologie à l’Université de Lorraine, et co-fondateur du Centre d’information, de recherche et de consultation sur les expériences exceptionnelles.
 
« L’expérience de l’hallucination est redoutée par tous. Nous sommes censés percevoir ce que le monde inscrit dans nos sens et non ce que notre psyché y rejette. Le moindre glissement de la perception en hallucination pourrait théoriquement être sanctionné par le discours psychiatrique, si bien que ce vécu réside d’abord dans l’intimité, s’il ne devient pas trop envahissant. Pour le clinicien, l’hallucination peut donc apparaître dans toute sa discrétion, à plus d’un titre. Il peut l’extraire de sa cachette et en faire un élément diagnostic majeur ; ou l’interroger plus en profondeur et la contextualiser. Car toutes les hallucinations ne se valent pas. Les recherches psychopathologiques font, depuis la fin du XIXe siècle, le constat d’expériences hallucinatoires plus communes qu’on ne le pense. Cela a conduit à promouvoir un continuum de vécus ordinaires et extraordinaires, emboîtés dans des discours sur-pathologisants (par ex. sur le syndrome de psychose atténuée) ou sous-pathologisants (par ex. avec les entendeurs de voix) aux nombreux écueils. La clinique différentielle structurale, à partir de l’hypothèse des expériences exceptionnelles qui situe l’hallucination comme signe neutre en termes de santé mentale, tente de remédier à cette clinique confuse. »
 
2ème partie – situation clinique :  « Luigi et le glas de la naissance »
Intervenant : Pierre Savonito – Psychologue clinicien
« Le cas de Louis abordé dans cette partie clinique mettra en évidence l’importance du diagnostique de structure. Il illustrera, à la suite de la première intervention, la différence entre l’abord phénoménologique des symptômes ou du comportement, tel que le DSM nous le propose, et l’abord clinique plus structurale de l’approche psychodynamique et plus précisément celle de l’approche lacanienne. Nous verrons en quoi cette distinction et cette orientation a des effets dans la prise en charge ou dans le traitement.


Introduction de la séance par Thierry Nussberger

Lors de la deuxième séance du « Séminaire Pratique sur L’Entretien en Psychothérapie et Psychanalyse » – dont le thème de l’année 2023/2024 est « L’important et l’anodin en entretien : une clinique moebiale » – nos intervenants nous ont introduit à la question du réel, que ce soit dans l’approche théorique ou dans la clinique. La manière d’aborder le réel, de s’y repérer pour essayer de le traiter n’est pas sans effet tant pour le thérapeute ou l’analyste que pour le patient/consultant.

Renaud EVRARD, qui intervient dans la première partie épistémologique, fait surgir la dimension du réel dans ce qu’il produit un sentiment d’effraction et d’étrangeté chez les sujets qui y sont confrontés.

 »J’hallucine » tel est le titre. On pourrait prolonger celui-ci :  » j’hallucine ou quoi ? Un « ou quoi » qui introduit le doute : « est-ce réel ? ». L’histoire des poltergeist, ou la présence des esprits à laquelle les médiums sont sensibles, interrogent tout autant celui qui y est confronté que celui qui entend ces histoires. Est-ce réel ? Avec Renaud Evrard nous pouvons affirmer ceci « oui c’est réel »! mais entendons-nous bien, c’est réel pour celui qui le vit ou qui y croit ! Un réel qui n’a rien à voir avec la réalité.

La réalité c’est ce que nous nous fabriquons si nous avons un certain rapport avec notre fantasme. La réalité c’est le cadre que nous nous donnons pour essayer de cerner le réel. Un peu comme le cadre que nous offre le viseur de l’appareil photo, on choisit d’extraire une partie du monde qui nous entoure pour faire la photo. La réalité c’est la photo que nous avons faite, du moins le croyons-nous. Le réel, ce serait le reste que nous n’avons pu saisir.

La réalité est déjà une interprétation du monde. Pour les Iacaniens ce sera le poinçon en forme de losange, qui donne cadre au fantasme et qui s’écrit ainsi dans le mathème lacanien : S/barré <>a. Le losange forme un cadre qui poinçonne un sujet à son objet a. Sujet ici barré de la jouissance du réel par son aliénation au signifiant.

Objet halluciné qui le satisfait, c’est ce que Freud nous révèle dans le texte  » Die verneinung ». L’enfant hallucine le sein et s’en satisfait. Cette hallucination d’un objet qui n’existe pas mais qui le satisfait est prémisse de l’objet a. Une hallucination qui fera entrer le sujet dans la réalité, nous dit Freud. Ce n’est pas la même hallucination que celle qui se manifeste pour le délirant qui est un retour par l’extérieur du réel qui n’a pas été symbolisé.

La pratique psychiatrique, quand un sujet est aux prises avec le réel sans avoir recours au cadre du fantasme, est d’essayer de lui en donner un.

On le confronte ainsi à une logique névrotique : « ce que tu voies ou entend ce n’est pas la réalité, c’est dans ta tête ». Et la plupart du temps, le patient se barre du service parce qu’on ne le croit pas. Alors faut-il croire une personne quand elle voit un fantôme ou un démon ?

Oui bien sûr, on croit effectivement qu’elle a à faire avec le réel, et c’est ce réel là qu’on va traiter avec elle.

Renaud Evrard nous présentera aussi la différence d’abord de ce réel selon qu’on se réfère à l’abord phénoménologique du DSM 4 ou 5, ou que l’on se réfère à l’abord plus structural de l’orientation lacanienne. Nous aurons en deuxième partie une situation clinique présentée par Pierre Savonitto. Le cas qu’il nous présente illustre la manière dont un diagnostic posé à partir des symptômes peut stigmatiser un enfant. Au risque de l’enfermer dans un procès de réadaptation éducative à la réalité sociale qui amplifie le système de défense de l’enfant. La démarche de Pierre Savonitto est différente, il se laisse enseigner par l’enfant pour saisir en quoi celui-ci essaie de se débattre avec un réel qui le submerge. Il s’agira aussi ici d’établir un diagnostic, non pas pour corriger le comportement de l’enfant mais pour orienter le traitement. La question avec Louis, l’enfant dont Pierre Savonitto nous parlera, sera bien de savoir s’il lui est possible de circonscrire le réel grâce à la fenêtre de son fantasme ou s’il lui faut recourir à un autre mode de temporisation de la jouissance

Ci-dessous le podcast de la séance avec Renaud Evrard et en 2ème partie Pierre Savonitto

Séance du 18 novembre 2023

Samedi 14 Décembre 2023

Le thème de cette séance s’est porté sur l’importance du détail, plus précisément sur le détail dans le rêve, pour la partie théorique, et sur le détail au microscope, pour la partie clinique.

Première partie : épistémologie

« Le détail dans le rêve » par Barbara Houbre (Psychologue – psychanalyste – maître de conférences en psychologie clinique – co-enseignante du séminaire).


 « L’importance du détail dans l’œuvre de Freud est conjointe à un changement de méthode. Le déterminisme traumatique envisagé dans un premier temps avec l’étude de l’hystérie, laissera la place à l’importance du détail dans l’interprétation des rêves. Virage théorique signant la rupture avec la médecine et les sciences classiques, le détail poussant à renouer avec l’indéterminé et l’interprétation. Inspiré par Morelli, amateur d’art, Freud se concentre sur des éléments habituellement considérés comme insignifiants. Ainsi, pour identifier l’auteur d’un tableau et repérer sa singularité, il faut s’intéresser aux « petit riens » et aux « choses non remarquées ». Là où finalement, l’artiste est le plus distrait. »

Deuxième partie : situation clinique

« Réflexion sur l’incertitude en médecine à partir d’une pratique clinique d’anatomopathologiste. Apports de la psychanalyse. » par Nathalie Marcon – Médecin – anatomopathologiste – Chef de service d’Anatomie et Cytologie pathologiques à l’Hôpital de Mercy – Metz -assistante des-enseignements au séminaire.


« A l’heure d’une médecine contemporaine, de plus en plus scientifique, comment maintenir un espace subjectif pour que cette médecine reste humaine ? La psychanalyse peut constituer une chance de survie de la clinique en médecine dans une éthique au cas par cas. A partir d’une pratique clinique de médecin anatomopathologiste, les apports d’un travail psychanalytique seront explorés, en tant qu’il amène à penser son propre rapport au savoir, à réfléchir sur l’incertitude omniprésente et la façon d’y répondre ou de la gérer, à envisager sa position par rapport aux autres. »

Samedi 17 Février 2024

Dans une première partie, Sébastien MULLER, psychologue et responsable des enseignements de psychologie et psychanalyse à l’IRTS de Lorraine, s’est intéressé au travail de Fernand Deligny, qui, au travers de ses tentatives auprès de ce qui s’appelait « l’enfance inadaptée », fit de la question du « moindre geste » l’un des pivots de sa pratique singulière. L’intervention s’est attachée à rendre compte à la fois du style singulier de Deligny, mais aussi de ses appuis conceptuels comme de ses outillages, en s’appuyant sur de larges traces de sa poétique et de son cinéma, de sa voix comme du travail sur les images, dimensions consubstantielles de ses élaborations.

La seconde partie s’est appuyé plus directement sur la contribution de François OTTO, étudiant en médecine. Sa proposition, nommée « De la mécanique à la mécanique psychique », a visé à poursuivre la réflexion sur les travaux de Deligny, et notamment sur la mise en tension entre le « point de vue » et le point de voir ».

Samedi 13 Avril 2024

Le « séminaire pratique sur l’entretien en psychothérapie et psychanalyse – praxis versus théoria » annonce dans son titre, et ce, depuis sa création en 2018, sa visée.

Il n’a pas fonction de valider telle ou telle démarche, théorie, pratique ou méthode professionnelle. Il s’instruit du dire des patients grâce à la transmission des praticiens, il étudie et commente les différentes approches ou théories, il s’essaie à une épistémologie de ces dernières. Car ce sont bien les patients qui, par l’énoncé de leurs symptômes nous enseignent sur la psyché. En ce sens, le séminaire s’inscrit dans la longue tradition des praticiens.

Par contre, le terme “ clinique” gagnerait, selon nous, à se moderniser, car il fait référence à une pratique hospitalière dans laquelle le médecin se plaçait au pied du lit du patient.1 Le praticien du psychisme aujourd’hui, n’est pas obligatoirement un médecin et est rarement situé au chevet du patient. Réciproquement celui qui consulte n’est pas forcément un malade hospitalisé. C’est une personne en souffrance psychique, certes, mais qui n’a pas besoin nécessairement d’une prise en charge médicale. Ce peut être aussi une personne en questionnement, confronté à un mal-être existentiel ou une difficulté à se positionner subjectivement dans son rapport au monde, etc.

Le psy2 d’aujourd’hui est confronté à une diversité de demande qui va bien au-delà du soin tel qu’on l’entend habituellement.

Dans la diversité du champ psy, la psychanalyse a tenu une place particulière. Dans leur pratique d’écoute les psychanalystes furent assez tôt confrontés aux effets du transfert et du contre transfert. Freud s’étonnait que, chez certains sujets, les symptômes disparaissent après seulement une ou deux séances. Loin de se satisfaire d’une quelconque preuve de l’efficacité de sa méthode ou de s’enorgueillir d’une réussite liée à ses compétences professionnelles, il questionne ce type de guérison quasi miraculeuse. Il postule que le transfert porté sur la personne du médecin, la croyance en son savoir, produit ce type d’effets chez des personnes relativement sensibles au pouvoir médical. Il comprend aussi qu’un patient qui réagit mal aux propositions du médecin peut inconsciemment irriter ce dernier lequel peut développer un contre transfert négatif qui le pousse à interrompre le suivi.

La pratique du contrôle d’un jeune analyste par un analyste plus expérimenté s’origine notamment de cette mise en perspective des phénomènes transférentiels et contre transférentiels.

Pour autant le psy qui ne s’oriente pas de la psychodynamique, peut-il se passer d’une supervision ou d’un contrôle ? Cela dépend ! Conçoit-il sa pratique comme une application stricte d’un protocole, d’une méthode qui pourrait se passer d’en témoigner à un autre. Considère-t-il que d’autres paramètres interviennent dans sa pratique et nécessitent d’en requérir à un tiers pour se distancier et comprendre ce qui se passe dans le traitement ?

Et puisque nous proposions de questionner la pertinence de l’usage du terme « clinique » aujourd’hui, nous pouvons de même interroger la pertinence des termes contrôle ou supervision

A l’usage du séminaire, nous préférons quant à nous, employer le terme de “ Pratique exposée ”3
 
En effet, nous ne sommes pas dans le cadre d’une supervision, ni d’un contrôle. Nous ne nous plaçons pas, non plus dans cet exercice, en position de maître ou de praticien expérimenté. Quand nous présentons ou entendons une pratique, nous sommes en position de praticien qui expose leur cas, et/ou qui écoutent les exposés de leurs collègues expérimentés ou non, en ouvrant un échange, un débat à partir de ceux-ci.

La cinquième séance du séminaire sera donc consacrée à la « Pratique Exposée » et à son pendant : la pratique du contrôle, de la supervision ou encore de l’analyse de pratique.
 – En première partie Estelle Di Salvo nous présentera des vignettes cliniques issues de sa pratique de psychologue du travail que nous questionnerons au fur et à mesure.
 – En seconde partie, nous aborderons le thème de présentation clinique et de la supervision/contrôle tel que nous l’avons énoncé dans l’argument de cette matinée.

Samedi 25 Mai 2024

Dans la 1ère partie Épistémologie, David Sellem, psychologue clinicien, psychanalyste nous présentera un travail intitulé : « Le détail dans la clinique du délire bruyant vs dans la clinique du délire discret » .

« Si tous les délires ne se valent pas, c’est que chaque délire est bien singulier ! La psychiatrie en a longtemps fait son objet d’étude, les décrivant, répertoriant et nommant de manière détaillée. Jusqu’à une période récente, la psychose se manifestait le plus souvent de manière extraordinaire, accompagnée de phénomènes élémentaires. Puis en 1911, Freud s’est intéressé à la psychose et a commencé une théorisation psychanalytique à partir des « Mémoires d’un névropathe » et du délire bruyant de Daniel Paul Schreber. Les indices et détails qu’il a repérés dans cet ouvrage lui ont permis en outre de proposer une conception clinique novatrice du délire. En 1955 dans son Séminaire III « Les psychoses », Lacan saluera cette lecture aiguisée et inscrira le délire dans une perspective structurale, rompant avec l’approche du délire de ses maîtres ès psychiatrie.

Aujourd’hui, des formes cliniques contemporaines de la psychose peuvent s’avérer moins ostentatoires, plus ordinaires*, présentant peu de phénomènes élémentaires évidents, mais bien plutôt des signes discrets. Comment alors se repérer face à cette clinique qui semble voilée ? Sans doute, cette nouvelle clinique nécessite-t-elle un accueil particulier de l’inédit et de l’énigmatique du parlêtre, en faisant une place à ses inventions et ses solutions, lui permettant de se dévoiler à partir de détails si ordinaires. »

(*)La psychose ordinaire est une notion proposée par Jacques-Alain Miller en 1998 à propos des psychoses contemporaines, et dont la clinique est en rupture avec les descriptions de la clinique psychiatrique.

En 2ème partie clinique, nous entendrons Nadia Marc, psychologue libérale à Nancy, qui interviendra pour présenter un cas issu de sa pratique intitulé : « Je suis encore vivant … »

Samedi 17 Juin 2024

Pour l’occasion, notre séance sera un peu différente, et fera place à une double intervention, par Sébastien Muller, psychologue, psychothérapeute, responsable de l’axe psychologie/psychanalyse à l’IRTS de Lorraine, et Swan Bellelle, ancien graffeur, ancien éducateur spécialisé – docteur en sciences de l’éducation.

« Qu’est-ce que le tag ? Le graffiti ? Quels en sont les enjeux ? à qui s’adressent-ils ? A quoi répondent-ils ? Derrière ce qui s’affiche parfois sur les murs, sans plus que nous ne le questionnions, se meuvent pourtant des processus complexes, où se mêlent, et se nouent même parfois de façon sinthomatique, l’Imaginaire, la créativité, le vandalisme, l’écriture, le regard, etc, Ce sera en nous laissant guider par la clinique que nous tâcherons de saisir ce que ces pratiques mettent en jeu, entre transmission et transgression ».