Séminaire de formation : clinique et épistémologie
Séance du 24/11/2018 LE TRAITEMENT MORAL de Philippe PINEL par David Sellem – 1ère partie – présenté lors du séminaire sur l’entretien en psychothérapie et psychanalyse – 3ème séance du 24 novembre 2018 – UFR -Sciences Humaines et Sociales – Metz Nous allons aujourd’hui poursuivre notre étude épistémologique des psychothérapies, en revenant sur un traitement qu’avait évoqué la fois dernière Thierry Nussberger, le « traitement moral » de Philippe Pinel. Avant de vous détailler ce dont il s’agit, il convient de revenir sur le personnage, la légende même pourrait-on dire de Philippe Pinel, légende car il a littéralement marqué le milieu asilaire en amorçant une nouvelle psychiatrie, et une nouvelle prise en compte et prise en charge des aliénés. Le docteur Philippe Pinel est un médecin aliéniste et philosophe, contemporain de Messmer, dont nous avions parlé lors de la précédente séance, dont il a d’ailleurs été un des élèves, pour très peu de temps, son intérêt pour le Mesmérisme étant relativement limité. Il devient médecin aliéniste tardivement, en 1780, après avoir renoncé à une carrière d’ecclésiaste et de mathématicien. La soutane et les formules l’intéressent, mais la blouse blanche d’avantage. Il est parallèlement disciple du philosophe Condillac, dont les conceptions sont empiristes plutôt que naturalistes, notamment en ce qui concerne le langage. Et l’on peut poser l’hypothèse que cette double formation a participé chez Pinel à l’émergence de conceptions résolument novatrices pour l’époque. Et cette époque, c’est celle qui annonce la révolution Française. Pinel s’engage très tôt et avec enthousiasme en faveur du mouvement révolutionnaire de 1789. Car il est aussi intéressé par la politique, même s’il déchantera durant la Terreur qui débute en 1793, année où il est nommé médecin-chef de l’asile de Bicêtre. Et c’est là qu’il va faire une rencontre déterminante. Dans cet asile, officie un surveillant du nom de Jean-Baptiste Pussin, que Pinel va patiemment observer, notamment dans les relations que ce dernier instaure avec les malades. Ces derniers, sont alors indifférenciés des psychopathes, des prostitué(e)s, et l’asile sert alors plus de lieu de régulation de l’ordre social que de lieu de soin. Il y règne un climat de violence, violence des internés, et violence également de leurs gardiens sur eux. A l’exception de Pussin, qui lui, apparaît d’une grande bienveillance, passe beaucoup de temps avec les malades, leur parle, les considère, et les amène ce faisant à moins de comportements violents, grâce à une douce fermeté. Ce qui apparaît alors aux yeux de Pinel dans ces murs où règne la violence en maître, ce n’est rien de moins que de l’humanité. Cet élément-là, va devenir la base du traitement moral de Pinel. En effet, ce à quoi il assiste dans ce lieu d’enfermement, c’est une violence institutionnalisée sur des personnes qui sont parfois traitées comme des animaux. Or, la manière dont Pussin traite les malades, c’est à dire sans violence, produit chez ces derniers, moins de violence. Pinel, va alors théoriser cette première approche, « psychologique » pourrait-on dire, qu’il qualifie plutôt d’approche médico-philosophique des malades mentaux. Il n’oubliera d’ailleurs jamais de citer Pussin et sa manière d’y faire avec les malades, ce dernier étant probablement précurseur de la future fonction d’infirmier psychiatrique. Pour autant, c’est bien à Pinel qu’est attribuée la paternité du « traitement moral ». Ses inspirations sont cependant multiples, et Pinel aura à cœur dans son traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou la Manie, de faire valoir les différents personnages et les différentes disciplines auprès desquels il a appris. Il restera médecin-chef de Bicêtre jusqu’en 1795 alors qu’il est nommé médecin-chef à la Salpêtrière, où il va s’employer à appliquer sa méthode, et à finalement libérer de leurs chaînes les aliénés. Qu’est-ce donc que ce traitement dit moral. Et bien ici, moral ne voudrait rien dire d’autre aujourd’hui que psychologique, au sens donc non pas de la moralité mais bien de la raison. L’idée principale de Pinel, est que les malades mentaux ne sont pas sans raison, et que contrairement à l’idée reçue qui était à cette époque que les insensés, les fous, n’étaient pas ou plus doués de raison, Pinel s’adresse au contraire à eux, à la part d’eux-mêmes qu’il dit être encore accessible à la raison. Cette considération à elle-seule, est un bouleversement dans le champ de la psychiatrie, une révolution. Considération ici dans le sens d’envisager le fou, comme un malade, et qui peut éventuellement être traité, soigné, voir guéri. Et ceci à partir d’une conviction de Pinel, puisqu’il ne croit pas à l’organicité cérébrale comme cause de l’aliénation mentale. Pour lui, nous pourrions évoquer l’hypothèse d’une théorie périphérique des émotions. Selon Pinel, la folie vient de causes morales et doit être soignée par des remèdes moraux. Il rompt donc avec les traitements usuels de l’époque qui étaient dispensés dans les asiles, et qui étaient essentiellement constitués de purges et de saignées, et applique son traitement moral. Celui-ci repose sur différents principes qui viennent également modifier le paradigme institutionnel de l’époque, la manière dont fonctionnaient les asiles et qui reposaient avant tout sur le caprice, pourrait-on dire, des surveillants et des geôliers. Quels sont donc les principes sur lesquels reposent le traitement moral ? Et bien il y en a plusieurs, à la fois des principes cliniques, qui définissent la relation entre le médecin et l’aliéné, et des principes institutionnels qui permettent l’installation de cette relation. C’est à dire que le traitement moral de Pinel ne concerne pas seulement les aliénés, mais également les asiles et donc le sort qui leur était fait jusque là. Ce traitement moral, repose concrètement sur 3 grands principes à appliquer selon lui dans tous les cas : -La bienveillance : le médecin compatit aux souffrances de l’aliéné, il crée un climat de sympathie. Il doit essayer d’écouter, de compatir et laisser le malade s’exprimer pour qu’il s’améliore en reconnaissant ses erreurs, et puisse retrouver sa dignité de personne. Pinel à travers cette bienveillance, vise à restituer un statut de malade curable à l’aliéné. Et au-delà de la part de raison qu’il leurs suppose, c’est finalement la subjectivité qu’il prend en compte pour la première fois, puisque ce que préconise Pinel, c’est d’observer et d’écouter les aliénés. -La douceur : Pinel recommande de parler avec douceur pour favoriser la relation de confiance et donner au patient un espoir d’amélioration. Philippe PINEL pense que parler avec douceur est la base de tout entretien thérapeutique, il faut que s’instaure une confiance et une alliance avec le patient pour la suite des soins. Ainsi le patient à travers cette écoute retrouve sa dignité et l’estime de lui-même. -La persuasion : il s’agit de convertir le patient au système de croyance du médecin, c’est à dire le pousser à faire du médecin son idéal et lui imposer l’ordre de la raison. Il faut qu’il y ait un jeu de séduction, de chantage auquel Pinel se laissera prendre et renforcera en conséquence son autorité vis à vis de l’aliéné. Il faut savoir se faire craindre de l’aliéné, que le médecin soit un personnage redoutable et inattaquable. On peut s’étonner d’une telle évolution car à cause de ce nouveau mode d’approche finalement autoritaire, le traitement moral aboutira à un échec en quelques décennies. S’appuyant au départ sur la suggestion, la dérive autoritaire a finalement pris le pas et ruinée le traitement moral imaginé par Pinel. Et cette position autoritaire du médecin est permise par une réforme de l’hospice, selon certains principes institutionnels posés par Pinel, et qui assoient la position du médecin face à l’aliéné. Ces principes institutionnels s’articulent à partir de ce qu’il appelle « la police des établissements pour aliénés » qui encadre la vie institutionnelle. En effet, quelque soit la pathologie qu’il évoque, Pinel fait valoir l’importance de l’ordre. Que l’ordre règne dans l’asile d’aliénés, et alors le traitement moral sera efficace. Observation, écoute, consolation, encouragement, conseilet négociation, font donc suite dans bien des cas, à ce que Pinel appelle « les moyens physiques » qui reposent sur : -L’instauration d’une autorité centrale incontestable, à laquelle se soumet l’ensemble du personnel. Ceci, vise en premier lieu à prévenir et empêcher la violence gratuite. Il s’agit donc de l’instauration d’une direction médicale et administrative centrale, et qui veille à un encadrement légal des différents personnels de l’asile, qui instaure donc leurs devoirs, leurs droits également, et qui cadre et limite le champ de leurs interventions. -Le second, est la surveillance des malades, assurés par des surveillants, qui peuvent en cas de violences contenir les aliénés (par des camisoles de forces) ou les mettre à l’isolement, en cas de désobéissance ou dans le cadre d’une punition. À la violence gratuite, apparaissent donc des moyens coercitifs gradués qui visent à réguler le comportement des aliénés, dans un cadre précis établis en règles institutionnelles qui valent pour l’ensemble des malades. -La violence est donc proscrite de l’établissement, mais la force et la contrainte physique peuvent être une réponse pour soumettre les aliénés. -Le traitement moral en lui-même, nous l’avons déjà évoqué, consiste en un travail de palabres, d’argumentations et de négociation avec l’aliéné pour l’amener à lutter contre sa folie. Le but étant de ramener les aliénés à la raison. Une des bases de ce travail reposant selon lui sur « de la bienveillance et de l’amitié » à l’égard des aliénés. -Le dernier point, qui n’est pas des moindres, est la fin de la contention par les fers à l’intérieur de l’asile. C’est à dire une plus grande liberté, relative, des aliénés dans leurs mouvements pour autant que ces derniers ne soient un danger, pour eux-mêmes ou pour d’autres. Nous l’avons vu, ces grands principes, Pinel les a élaborés à partir de ses observations de Jean-Baptiste Pussin, qui lui le premier, défit les fers des aliénés qu’il traitait. C’est sur cette relation que se base le traitement moral de Pinel, reléguant au second plan les traitements médicaux de l’époque. Pour lui, le traitement moral est fonction de la relation du malade avec le milieu familial et les autres malades, mais repose avant tout sur le rôle du médecin dans l’administration hospitalière. Il fait ainsi valoir qu’une thérapeutique autre peut être envisagée pour traiter les aliénés. Si l’abord paraît plus humain, bienveillant, et sans violence, il n’en reste pas moins contraignant pour les aliénés, puisque ce traitement repose sur une dichotomie entre bons malades et mauvais malades, associée à un système de punitions et de récompenses. Et Pussin, est l’inaugurateur de ce système qui vise à conditionner les aliénés, les conditionner à la vie institutionnelle. Mais également les conditionner à renoncer à leur folie au profit de leur raison. Pinel nommera d’ailleurs Pussin chef de la police intérieure lorsque ce dernier le rejoindra à La Salpêtrière, à la demande expresse de Pinel. Cette nouvelle pratique et cette nouvelle organisation institutionnelle ne peuvent voir le jour que grâce à un certain intérêt de Pinel pour la chose politique, on peut même parler d’un certain opportunisme politique, pendant la révolution, puis l’instauration du premier empire. En effet, la révolution qui transforme l’ensemble de la société Française, ne laisse pas de côté les fous. Car si la déclaration de droits de l’homme marque un tournant fondamental, un passage de sujet du roi à citoyen de la république, avec Philippe Pinel, l’aliéné passe des fers de la folie, au statut de malade. C’est à dire quelqu’un avec qui il peut y avoir des échanges, que l’on va écouter, observer, et avec qui l’on va désormais parler. Mais parler, de manière relative, puisque pour Pinel, le traitement moral vise à faire du médecin un modèle à suivre pour l’aliéné, qu’il s’agit en définitive de convaincre, non sans avoir au préalable compris la logique de son délire. Il s’agit de le convaincre à l’ordre du monde tel qu’édicté par le médecin. Pour Pinel, guérir le malade c’est l’ordonner à la raison du médecin. En 1801, il fait paraître son « Traité médico-psychologique de l’aliénation mentale » dans lequel figure donc une réforme de soin importante : son traitement moral. Il y décrit l’aliénation mentale comme une maladie comme les autres, et qui doit être traitée de la même façon, c’est-à-dire selon une application de la démarche naturaliste prônant l’observation. Le grand principe mis en évidence dans cet ouvrage est que les aliénés ne sont pas totalement enfermés sur eux-mêmes, ce sont des êtres de raison, des personnes avec lesquelles on peut entrer en relation, et qui sont donc susceptibles de guérison. C’est sur cette reconnaissance d’un reste de raison chez l’aliéné que repose l’entièreté du traitement. La véritable révolution pinelienne se situe dans la découverte du traitement moral et d’une nouvelle relation avec le malade qui apporte un regard nouveau sur le fou qui n’est donc plus un insensé mais un aliéné de l’esprit. Et si Pinel apporte un nouveau regard sur l’aliéné, il éclaire également différemment la pratique de l’aliéniste, définissant alors également ses qualités dans l’application du traitement moral qu’il doit appliqué notamment avec « intelligence et zèle » dans son entreprise de convaincre l’aliéné à la raison. On peut donc lire son traité comme un guide de recommandation de bonnes pratiques, et dans lequel il démontre d’ailleurs l’efficacité de son traitement moral, en l’opposant aux traitements habituels prodigués aux aliénés à l’époque. Au fond, Pinel était un précurseur du rapport de l’inserm sur les psychothérapies. Il a en effet à cœur de convaincre ses lecteurs que son traitement est le bon, celui qui guérira les aliénés de leur folie, et que les autres sont obsolètes et inefficaces, puisque ignorant la cause morale de la folie. D’une certaine manière, et en exagérant un peu, nous pourrions dire que par certains côtés, Philippe Pinel a été un précurseur de la psychothérapie institutionnelle, au sens où il s’agit avec son traitement moral, et il le pose comme un prédicat fondamental, d’apprendre des aliénés. Apprendre de leurs habitudes, de leur quotidien, impliquant donc le personnel asilaire au plus près de ceux qu’ils doivent traiter. L’écueil qui a sans doute été le sien, et qui a conduit à un abandon progressif de son traitement, est son attrait pour l’ordre. Un ordre stricte, policier, qui a finalement remplacé les fers, tout en ayant une fonction analogue, la privation de liberté.